Cigarette électronique : Des buralistes qui veulent tout le gâteau

Publié le : 07 décembre 20208 mins de lecture

La cour d’appel de Paris a tenu hier une audience qui pourrait bien intéresser les acteurs du marché de la cigarette électronique. Deux buralistes ont en effet amené face aux tribunaux un acteur important du marché : Clopinette. Retour sur la deuxième affaire du genre.

Un gout de réchauffé

C’est la deuxième affaire du genre qui éclate depuis les débuts de la cigarette électronique. Rappelez-vous, en Octobre dernier, le tribunal de commerce de Toulouse donnait raison à un buraliste en première instance dans son recours contre une boutique de e-cigarettes qui « était construite trop près ». Toute la presse nationale s’était alors émue de voir « La cigarette électronique interdite » et autres fadaises. Car ce que nos chers pigistes (qui étaient déjà sous-payés) s’étaient bien gardés de dire, c’est que le défendeur avait alors immédiatement interjeté appel, et que la procédure est toujours en cours sur le fond, qu’elle le sera jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel, et qu’elle pourrait par la suite être jugée sur la forme par la Cour de Cassation et faire l’objet d’une jurisprudence. Mais la prudence journalistique à l’égard de la procédure judiciaire est rarement de mise, malheureusement.

C’est quoi cette fois ?

Cette fois, c’est la même chose, ou presque. En Septembre dernier, deux buralistes du cas qui nous intéresse aujourd’hui avaient enclenché une procédure en référé auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Cette demande avait alors été appuyée par la CNBF (Confédération Nationale des Buralistes de France. Le recours en référé, qui est une procédure d’urgence, avait alors été rejeté par le TGI de Paris. Les demandeurs avaient donc dû passer par une procédure classique, ce qui explique les huit mois de délais.

Et l’objet du crime dans tout ça ? Une publicité et deux boutiques « trop proches », en région parisienne et à Caen. L’auteur du crime est cette fois-ci l’un des leaders du marché en France : Clopinette, une franchise importante dans le secteur des cigarettes électroniques.

Ce que demandent nos chers buralistes ainsi que la CNBF, c’est tout simplement l’application de leur monopole à la cigarette électronique. Tout simplement.

L’argumentaire avancé par les demandeurs est simple : Maître Nicolas Bault a invoqué devant la cour le fait que « Clopinette, c’est une clope », rappelant que la publicité évoque « la liberté de fumer » et vante le goût du tabac. Un argumentaire puissant, à se demander si les 6 ans d’études (au minimum) et les années d’expérience de Maître Bault ne lui auraient servi qu’à parfaire sa technique de lecture. Rien d’autre n’a été avancé comme argument nouveau, un peu en rupture ou ne serait-ce que recevable, et pour cause, les buralistes et leurs avocats font face au mur juridique le plus redoutable : le vide juridique.

SOS d’un vendeur de mort en détresse

Les buralistes ont de bonnes raisons de s’inquiéter de l’émergence exponentielle de la cigarette électronique. Ce marché connaît en effet une croissance exponentielle et proportionnelle à la baisse de la consommation de tabac en France. L’argument principal qui fait le succès de la cigarette électronique est, quoique l’on puisse en penser, le prix. Or les cigarettes sont taxées à 81% en France, contre seulement 20% pour la cigarette électronique (taux de TVA dite normale). Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire notre article analytique sur le marché de la cigarette électronique en 2014.

Les buralistes sont peu ou prou impuissants face à ce marché. Car si des années de hausses de taxes et de campagnes anti-tabac n’ont pas entamé leurs marges significativement (les hausses étaient toutes imputées aux consommateurs finaux), la cigarette électronique, qui offre la possibilité d’arrêter de fumer du jour au lendemain, les a privés de consommateurs très réguliers et de longue date. En 2013, les ventes de cigarettes ont diminué de7.6%, ce qui n’est pas pour les rassurer.

Devrait-on les plaindre au final ?

La réponse n’est pas évidente, disons oui et non.

Oui, l’émergence de la cigarette électronique est un drame face auquel les buralistes sont impuissants. Ils travaillent en effet dans un cadre extrêmement réglementé, soumis à des licences qui sont délivrées selon des conditions très contraignantes. La plupart des buralistes ne connaît que ce métier et ses aboutissants. Presque aucun de ces vendeurs ne connaît le fonctionnement de la cigarette électronique et tous ont accepté d’en vendre presque malgré eux, n’en comprenant pas l’étendue des opportunités commerciales, ni la complexité technique. Oui, leur situation est instable et oui elle détruira des emplois, mais c’est malheureusement le lot de toutes les innovations de rupture.

Car oui, en matière de cigarette électronique ou autre, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Lorsqu’une innovation de rupture arrive sur un marché, les acteurs en place du marché se voient délogés, et il y a mécaniquement des pertes d’emploi, au profit d’autres : c’est un très classique effet de création destructrice.

Par ailleurs, les buralistes possèdent le monopole du tabac. La cigarette électronique ne contient pas un gramme de tabac. Où étaient donc nos chers buralistes à l’apparition des patchs nicotiniques ? Où sont passés les procès leur garantissant ce marché ? La réponse est évidente, non seulement ces traitements possédaient une efficacité contestable et surtout ils étaient protégés par l’industrie pharmaceutique. Or le « lobby » de la cigarette électronique n’existe pas encore. Les buralistes ont autant de légitimité à demander à exercer le monopole sur la cigarette électronique qu’ils en ont à demander le monopole sur les tringles à rideaux : aucune.

Par ailleurs, si l’on devait faire un procès à tout concurrent qui s’installe aux alentours de chaque boutique, le système judiciaire aurait du travail. Lorsque l’on voit un concurrent proposant un bien de substitution à notre offre, la seule réaction efficace consiste à se remettre en question et à s’interroger sur la valeur-ajoutée que l’on représente par rapport à lui, à retravailler son avantage concurrentiel. Mais les buralistes ne l’ont pas encore compris, et leur réaction relève d’un infantilisme affligeant : « Monsieur, Monsieur, il a pris mon marchéééééééeuuuuuuuuh ».

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